La loi de finances 2021 comporte plusieurs projets qui intéressent l’économique et le social. Cependant, cette loi est mitigée, dans la mesure où plusieurs personnes ne l’ont pas appréciée, alors que d’autres ont un avis contraire. Pour mieux nous exliquer la portée de cette loi, nous avons contacté M. Hammadi Jarraya, expert économique et président de l’Observatoire «Tunisia Progress». Interview.
Quelle est votre appréciation sur la loi de finances de 2021 ?
Naturellement, cette loi est orientée essentiellement vers la mobilisation des ressources fiscales pour couvrir les dépenses prévues par le budget 2021.
Contrairement aux attentes, elle n’a pas apporté assez de mesures pour la relance économique. L’importance du déficit budgétaire et de l’endettement et la récession économique prévue à – 8% pour 2021, des suites de la crise engendrée par la pandémie Covid-19, sont derrière ce fait. Certaines mesures n’ont pas été approuvées à cause du corporatisme de certains partis influents à l’ARP. Le budget est alourdi par une véritable « inflation » de la masse salariale de la fonction publique qui s’est multipliée par deux en 10 ans. Le populisme des partis au pouvoir et la recherche, au prix le plus fort, d’une paix sociale vitale pour le gouvernement, sont les premières raisons.
En l’absence d’une réelle reprise économique, cette hémorragie est appelée à se poursuivre devant la hausse continuelle des prix (dégradation du pouvoir d’achat) et aux revendications syndicales. En outre, les mesures d’austérité sont « timides ».
A mon avis, une trêve sociale de trois années est indispensable, avec un gel des salaires et des prix par l’Etat.
Pensez-vous que le côté social a été négligé dans cette loi ?
Oui, hormis les recrutements annoncés dans la fonction publique, le côté social est négligé. En effet, certaines mesures ont engendré une augmentation des prix à la consommation, tels que les produits pétroliers, le sucre et les services téléphoniques et internet.
D’autres mesures ont engendré certaines réductions, en moyenne de 100%, du droit de consommation sur certains produits de tabac et dérivés. On aurait pu alléger la charge de la caisse de compensation, par le maintien des prix du tabac au lieu d’imposer les augmentations sus-indiquées. Une simple réaffectation des ressources aurait suffi.
L’unification du taux d’impôt sur les sociétés à 15% est-elle correcte ?
C’est une mesure audacieuse. Mais elle est insuffisante pour stimuler l’investissement. En effet, avec cette mesure, les entreprises offshores et exportatrices (grandes créatrices d’emplois), qui ne payaient pas d’IS pendant 10 ans, puis imposées à l’IS à 10% avec soumission de leurs associés à la retenue à la source sur les dividendes à 10% (soit 20% au cumul), se trouvent lésées en passant à un IS de 15% avec le maintien de la RAS de 10% (soit 25% au cumul). Pour ces entreprises, l’augmentation de l’IS de 50% est une nouvelle illustration de l’instabilité fiscale redoutée par les investisseurs.
Pour l’équité et l’encouragement des investisseurs de toutes catégories, il fallait annuler la RAS de 10% sur les dividendes.
Ainsi, on réduira sensiblement la pression fiscale, qualifiée parmi les plus fortes dans le monde, et on élargira la base des contribuables volontaires (réduire l’évasion fiscale).
Pensez-vous que cette loi a assez fait pour attirer les investissements étrangers ?
C’est le grand point faible de cette loi.
Le meilleur moyen pour attirer les investissements, notamment étrangers, est l’incitation fiscale (défiscalisation). Or, nous avons une pression fiscale très forte. En outre, il faut améliorer l’environnement des affaires : sécurité, paix sociale, stabilité fiscale et justice équitable. Une réforme profonde du rôle et des compétences (une mise à niveau) des auxiliaires de justice doit être amorcée pour soigner le message aux investisseurs étrangers.
Le retour au conseil économique et social est devenu une nécessité de premier ordre pour améliorer la vision et l’approche macroéconomiques de la législation.
Les emplois prévus par la loi (1000) peuvent-ils être réalisés à votre avis et quels sont les moyens de stimuler le marché de l’emploi
Ces emplois vont être créés, au sein de la fonction publique, et leur charge alourdira davantage la masse salariale. A l’instar de la majorité des salaires publics, les ressources nécessaires seront assurées par des emprunts et non pas par la croissance économique. C’est le grand handicap menaçant l’avenir économique et les équilibres monétaires.
Cependant, cette mesure n’allègera qu’en partie très minime le chômage qui a dépassé les 16% de la population active.
A mon avis, il faut penser au retour aux coopératives agricoles et industrielles avec une nouvelle approche évitant les causes de l’échec historique de ce système. La priorité doit être accordée aux jeunes des régions, porteurs d’idées créatives avec une gestion collégiale. Le capital doit être assuré par l’Etat, les grandes firmes, les Sicar et des groupes de jeunes.